mardi 8 janvier 2019

Passe-moi les Jumelles!












Passe-moi les Jumelles et une émission magazine qui permet, le temps de deux reportages, de toucher à l’essentiel en privilégiant la rencontre, en renouant avec les délices de la lenteur, accordant ainsi aux silences et aux émotions la place d’exister.

L'été dernier, j'ai eu le grand plaisir d'être le sujet du tournage d'un épisode qui a été diffusé sur la RTS en octobre dernier. 9 jours très enrichissants avec une belle équipe de la TSR. 

L'émission est désormais visible sur Youtube. Il vous suffit de suivre le lien ci-dessous: 



vendredi 27 novembre 2015

Les vases à visage

Le petit cabinet ds curiosités céramiques.
Premier volet: Les vases à visage, première partie.
On les trouve essentiellement dans les provinces germaniques, Germanies supérieure et inférieure, Rhétie et Norique, plus rarement ailleurs. Leur origine est parfois cultuelle, et on les découvre dans de petits sanctuaires domestiques sans que l'on sache exactement quel était le cérémoniel qui pouvait nécessiter ce genre d'accessoires. On les retrouve également dans les habitats, et ils peuvent avoir aussi simplement été des vases à boire, peut-être utilisés lors d'occasions particulières.
 Ci-dessous un premier assortiment provenant de Lorraine (Metz) et de Rhénanie du Nord-Westphalie (Cologne, Krefeld et Mayence). Proviennent peut-être du même groupe d'ateliers. Celui de Metz est attribué à Haute-Yutz.
Tous appartiennent apparemment au Ier siècle de notre ère.
Metz, Musée de la Cour d'Or. ( Photo personnelle)
Dis? Pourquoi tu tires la langue?
Rhenisches Museum Köln. Photo du Musée
Museum Burg Linn, Krefeld ( Rhénanie du nord-Westpahalie)
Photo de Musée:
Haute Yutz, Musée de la Cour d'Or, Metz (photo du Musée)
Les vases à visages barbus.
Proviennent également des provinces germaniques mais parfois aussi de Grande Bretagne. Certains de ces vases sont en plus surmontés de 3 ou 4 petits godets dont la fonction nous échappe totalement. La datation de ces derniers peut être plus tardive que les formes simples. On retrouve notamment ces godets additionnels sur certains vases à serpents qui seront illustrés plus tard.


 Musées du Pfalz, Allemagne. Etablissement indéterminé. Cette association regroupe une quarantaine de musées situés dans un quadrilatère allant de Bonn à Mayence, puis de Mannheim à Trèves. Source: Wikipedia D / Wikimedia Commons
















Musée St.-Polten, Unterradlberg (D)

Source: Wikipedia D / Wikimedia Commons














Gäubodenmuseum Straubing (D). 
Godets additionnels ou goulots?
On pourrait décrire ce vase comme étant à visage barbu et oreilles!
Source: Wikipedia D / Wikimedia Commons















Bel exemple à godets additionnels. 
Museum Carnuntinum, Bad-Deutsch_Altenburg, Niederösterreich. 
Source: Wikipedia D / Wikimedia Commons














Vases à visage(s) du Norique:
Ancien royaume celte recouvrant l'est de l'Autruche, l'extrême Est de la Bavière et une partie de la Slovénie, Le Norique deviendra province romaine peu avant le tournant de l'ère. C'est notamment la célèbre place fortifiée du Magdalensberg, non loin de Klagenfurt, en Autriche (Carinthie), région proche de la Slovénie, qui a libvré bon nombre de ces vases.
Le premier comportant trois visages, probablement assez tardif (fin IIème-IIIème s.) est exposé au Musée de Klagenfurt, sans qu son origine exacte soit précisée.
Les autres proviennent de l'ancien oppidum du Magdalensberg, qui devient ville romaine fortifiée dès la conquête des Alpes terminée. Datent de la fin du règne d'Auguste de de celui de Tibère (entre 10 et 35-40)
Bienvenue dans la tribu des gros nez!


Musée de Klagenfurt. Photo d'amateur.















































Deux vues de cette pièce "de caractère". assez extraordinaire provenant du Magdalensberg. Le gros nez est caractéristique. 
Photo du haut: Eleni Schindler-Kaudelka
Ci contre: www.Antike Tischkultur.de















Un autre exemplaire, également du Magdalensberg: 
Photo Eleni Schindler-Kaudelka.















Dans un style différent mais toujours muni d'un gros nez, toujours du Magdalensberg: 
Photo Eleni Schindler-Kaudelka
















Magdalensberg toujours.
Photo Eleni Schindler-Kaudelka


















Les vases à visage et à phalles.
On monte d'un cran dans la curiosité!
Certains de ces vases, en plus du visage tel qu'illustré plus haut montrent une ou deux représentations de phalles dirigés en direction de la bouche ou des yeux. Il ne faut pas y voir quoi que ce soit de grivois. Pour les Romains, gallo ou pas, le phallus est un signe apotropaïque (servant à éloigner le mauvais oeil, à conjurer le mauvais sort. n.d.l.r.). extrêmement fréquent, qui peut s'arborer sous forme de pendentif, d'appliques murales et de toutes sortes d'objets de décoration.
Origine: Germanie supérieure, 1er-2ème s. de note ère.

Colmar, Musée Unterlinden, exposition temporaire en 2009, photo personnelle.
Ce vase est issu des ateliers de potiers de Brumath (Alsace). D'assez grande taille, il fait un peu plus de 20 cm. de haut pour une capaciité dépassant largement le litre, il est muni d'une anse à l'arrière, ce qui en fait clairement un vase à boire.

              Paire de vases provenant d'une villa romaine proche d'Esslingen, Allemagne, (Bade Würtemberg).                      Photo Esslinger Zeitung, Musée d'Esslingen 



Curieuse composition pour ce vase. 
L'argile utilisée semble attribuer cette pièce aux ateliers de Cologne, au premier siècle de notre ère.
Römischer Zentralmuseum Mainz, (Mayence) 

Photo du Musée.
















Je clos ici ce premier volet du cabinet des curiosités, qui est en fait un résumé d'une série de publications sur Facebook.
D'autres suivront!
A bientôt!

lundi 2 novembre 2015

Une cuisson de céramiques germaniques.



C'était le 1er novembre 2008. Jour de la Toussaint pour les uns, de Samaïn pour d'autres, mais dans tous les cas une belle journée, fraîche mais ensoleillée pour faire une cuisson dans la forêt parée de ses plus belles couleurs automnales. Cela date un eu, certes, mais la cuisson fut tellement belle que je rédite cet article tel qu'il avait paru dans mon ancien blog.
Dans son principe, la céramique germanique est proche, techniquement parlant, de la céramique gauloise comme des productions grises ou noires de la période gallo-romaine.
On distingue toutefois deux catégories principales, tout comme durant les époques précitées, même si en ces temps, notamment durant le Haut-Empire, les productions sombres on parfois perdu un peu de leur importance.
Aux origines, et jusque dans le courant du IIIème siècle ap. J.-C., la céramique germanique des peuples que l’on nommera plus tard Alamans, Thuringiens, Francs ou Saxons, mais qui alors portaient d’autres noms ( Juthunges, Semnons, Chattes, Bructères, Hermundures, etc…) était une production presque entièrement modelée, avec éventuellement l’aide d’une petite tournette. C’est une production typique de petites unités sociales que l’on retrouve sous la forme de hameaux ou petites fermes aristocratiques, un peu comme à la Tène moyenne ou récente. Une des principales caractéristiques de ce genre d’organisation sociale est une autarcie parfois très prononcée. Tout ou presque y est fabriqué sur place, et la part des échanges dépassant le cadre local y est très faible. C’est ainsi que la céramique reste limitée à une production locale réalisée par des personnes peu spécialisées, peut-être par des potiers (ou potières ?) paysan(ne)s. Les installations de production sont donc assez rudimentaires, et n’ont rien de commun avec les officines gallo-romaines qui peuvent parfois employer des dizaines de potiers professionnels. Dans le meilleur des cas on retrouve en fouilles des vestiges tels que ceux-ci,découverts dans le Wetterau,montrant déjà une certaine romanisation. Mais la plupart du temps l'empierrage de la banquette et de la périphérie sont inexistants et la construction est entièrement en torchis.

En second lieu, progressivement les régions de ce qui deviendra l’Alamannia », du moins celles qui étaient proches du Rhin verront leurs structures sociales évoluer, se regrouper autour de princes guerriers et, parallèlement, les fonctions sociales vont progressivement se spécialiser, processus évolutif qui prendra plusieurs siècles.
Ce n’est apparemment qu’au début du IVème siècle que l’on verra apparaître des ateliers spécialisés dans tous les domaines de l’artisanat. En ce qui concerne la poterie, le travail au tour ne peut que difficilement être compris comme une activité domestique. Un paysan-éleveur ne s’improvise pas tourneur et là réside une des raisons principales des caractéristiques techniques de la céramique alamane. Ce qui, évidemment, n’empêchera pas une paysanne qui dispose d’un ou deux heures quotidiennes, de réaliser de très belles céramiques modelées qui, de plus, techniquement parlant, répondront parfaitement aux besoins des sa maisonnée, et permettra quelques échanges avec ses voisins ou un marchand de fibules de passage.  Les céramiques produites avec ce type de fours sont souvent de coloris assez réguliers, clairs en cuisson oxydante, mais le plus souvent de gris à noir, en passant par le brun foncé pour les cuissons réductrices. Au contraire de celles des céramiques cuites en fosse ou en four mixte, plus irrégulières, présentant souvent sur une seule pièce toute une palette de coloris selon la quantité de braises restées en contact avec elles lors du refroidissement.

La procédure de cuisson que je décris donc ci-dessous est donc beaucoup plus rustique, et consiste en un moyen-terme entre cuisson en fosse et cuisson en four. C’est la cuisson des villages et non celle des ateliers spécialisés.

Le four est un simple puits, au fond duquel est aménagé un foyer, une languette formant piédestal et de petites banquettes latérales. Il n’y a pas de sole à proprement parler. Pour laisser un passage aux flammes sous la charge à cuire, on a deux possibilités: Soit les vases de la couche inférieure, si ils sont assez gros, sont placés obliquement et coincés entre la languette et les banquettes, soit on place quelques briques ou « cigares » d’argile pour les y maintenir.
Ensuite on empile en vrac par-dessus, en veillant à ne pas trop obturer le tirage.


Les vases ne sont pas recouverts de tessons, il est important de les laisser libres pour la deuxième phase de la cuisson.
Durant deux heures environ, j’ai préchauffé par-dessous en pratiquant un feu dans le foyer réservé à cet effet. L’avantage de cette procédure est de permettre de chauffer progressivement les pièces faites d’argiles fines qui éclatent systématiquement lors des cuissons ouvertes ou en fosse. Lorsque la charge est assez chaude, les flammes se faufilent entre les pièces et atteignent la surface. Le « ressuage » (élimination de l’eau résiduelle) des argiles est ainsi garanti terminé et on ne risque plus d’explosion. On peut alors mettre le feu sur la partie supérieure en gardant le foyer inférieur ouvert pendant un temps. Le tirage atteint ainsi une grande puissance et la température de la charge augmente très rapidement pour atteindre le rouge cerise.

Ensuite, on ferme le foyer inférieur et on le scelle au torchis. Le four va dorénavant se comporter comme une fosse. En continuant à alimenter un feu important sur les céramiques, on va provoquer une grosse accumulation de braises qui, dans un premier temps, s’écouleront entre les céramiques, puis les recouvriront complètement.
Cala prend un peu de temps, et la nuit approchant, il est devenu temps de passer à l'étape suivante. Les braises recouvrent maintenant complétement la charge.

C’est à ce stade qu’on ferme la partie supérieure. Une couche d’écorces et de déchets de fendage, puis une couche de feuilles mortes humides vont assurer la protection de la braise. Ensuite une couche de terre meuble humide légèrement tassée, et enfin à nouveau une couche de feuilles mortes détrempées pour éviter que la terre ne sèche et se craquèle trop vite. On laisse reposer et macérer un jour, le temps à la braise de se transformer en charbon, et aux céramiques de bien se carburer et devenir ainsi plus dure et plus étanche.
 

Le lendemain, à l’ouverture, rien n’a bougé. La couverture de terre est toujours humide, ne s'est pas fissurée, et le feu est pratiquement éteint. Les céramiques se trouvent maintenant enrobées de charbon de bois avec quelques braises résiduelles ici et là. Il faut faire vite au défournement, le charbon ne tarde pas à se réenflammer ! La charge est constituée de pièces alamanes, mérovingiennes et de quelques gauloises.
Ici la première pièce émerge de la cendre! C'est très chaud encore...

Et comme évidemment les gants de protection étaient restés à l'atelier, on extrait les pièces à l'aide de bâtonnets...

Instants magiques dans la végétation automnale...



 Ci-dessous, un groupe de pièces à facettes des Alamans de l’Elbe au pied du grand hêtre qui abrite le four. Une fois débarrassées des restes de cendres, puis légèrement patinées à la cire, ces pièces acquerront cet aspect sombre et envoûtant particulier à ce groupe de productions alamanes.


J’aurais pu construire ce four dans mon jardin ou à côté de celui que vous connaissez déjà. Pour me rapprocher encore de l’esprit de cette céramique et des peuples qui l’on pratiquée, j’ai choisi de le réaliser en forêt, et de ne l’alimenter qu’avec du bois mort pris sur place. Je n’ai pris que quelques buchettes sèches pour démarrer le feu, une semaine de pluie ayant tout détrempé.
Les couleurs de la forêt, l’ambiance automnale en ont fait un événement magique, hors du temps et de l’espace. Je cherche toujours à comprendre les civilisations qui ont produit les objets dont je m’inspire, cette quête aidant à aller au-delà de l‘acte purement technique. Pour une cuisson comme celle-ci, une part de moi-même est peut-être un potier alaman, au bord de la clairière qui abrite son village, quelque part dans la Forêt Hercynienne. Le grain et le fourrage pour les bêtes sont rentrés, le bois est au sec pour l’hiver… Une dernière petite fournée avant la neige…

C’est la part du rêve…

dimanche 22 mars 2015

Fabriquer un grand plat hallstattien

 Présentons tout d'abord la bête. Il s'agit d'un plat hallstattien de 42 cm. de diamètre. Une réplique d'une pièce apparemment découverte dans un tumulus fouillé à Obergösgen, en Suisse alémanique, vers 1900 ou un peu avant.



Petite présentation historique ensuite. En Suisse, la période Hallstattienne, ou premier âge du fer couvre à peu près une époque comprise entre la fin du IXème siècle et la fin du VIème avant notre ère. C'est uen époque de principautés, souvent groupées autour de chefs de guerre, mais peut-être également autour de princesses, comme celle de Vix en Bourgogne. C'est une période où tous les artisanats sont florissants, céramique et bronze notamment pour ce qui nous est parvenu. Et c'est surtout le moment où apparaissent les premiers objets en fer, surtout des poignards destinés aux puissants.
 Mais revenons à notre plat. De cet objet, il ne reste que quelques tessons épars, et un moulage réalisé peu après sa découverte. Le tesson montre une argile grossière, à la structure plutôt sableuse, et contenant de grosses inclusions blanches, peut-être de la calcite, mais aussi de la quartzite.
La couleur brune n'est probablement pas originale. Il est extrêmement difficile de reproduire une telle couleur sans pigments modernes. Il devait être noir à l'origine, et le vieillissement, il a tout de même passé plus de 2800 ans en terre, aura dissous ou oxydé une partie des particules de carbone qui lui conféraient sa couleur originale. L'expérimentation a montré que ce processus de vieillissement et de décoloration peut être très rapide. quelques années peuvent suffire à l'air libre. En terre, cela dépend de l'acidité du milieu notamment, mais on ne dispose pas actuellement de données précises.
En ce qui concerne la technique de montage, cette pièce est montée aux colombins ou aux bandelettes: Bien que le tournage ait fait son apparition en plusieurs lieux à cette époque, les potiers ne disposaient pas de la technique nécessaire pour tourner de telles pièces, et aujourd'hui encore seul les très, très bons tourneurs y parviennent.
On commence le montage d'un tel plat en creusant une balle d'argile jusqu'à obtenir l'ébauche d'un bol évasé conique. Puis on rajoute les colombins ou les bandelettes.

Ici, la partie centrale mesure à peine 20 centimètres de diamètre et est déjà constituée de deux parties, la jonction du premier colombin est encore visible par les traces de pressions des doigts que j'y ai laissées. Je rajoute une bandelette de 4 cm. environ, ce qui portera son diamètre à 28 environ. Le plus important dans cette suite d'opérations est de ne pas trop se presser. Travailler trop vite entraîne inévitablement l'effondrement de la pièce. Le mieux à faire pour un séchage régulier, et de poser une cale, une boule d'argile par exemple au centre du plat. Cette cale doit faire exactement la profondeur de la vasque. On retourne ensuite le plat sur une plaque de bois, et ainsi ses bords toucheront le support, ceci sans pression. Cela permet au fond de sécher plus rapidement que les bords. Et cela permet surtout de lisser le fond et la panse extérieure.
Le travail de lissage sur les fonds et parties externes, à ne pas négliger. si la pièce est trop sèche, les irrégularités deviennent impossibles à rattraper. Ici travail au galet de serpentine.

 Colombin après colombin, le travail se poursuit...

Quatrième colombin, 36 de diamètre... Il es important de travailler régulièrement, par pressions bien ordonnées. On évite ainsi les déformations au séchage.

Et le cinquième! 44 cm. de diamètre! On pose ces bandelettes très redressées. Une fois bien soudées, on les rabat progressivement, soit dans la continuation de la panse, soit à l'horizontale pour le marli.

 Lorsque l'assemblage est terminé, on corrige la forme tout en réduisant et lissant les aspérités. Ce travail se fait essentiellement à l'aide de plaquettes de bois ou d'ardoise pour les raclages, puis de galets de serpentine, agate ou silex pour les lissages.
Racler les aspérités à la spatule, ici une plaquette de bois.
 Au fur et à mesure du lissage, puis du polissage, le plat séchera lentement. On passe progressivement au polissage au galet et au décor.
J'utilise essentiellement des galets de serpentine, mais parfois aussi de l'agate, voire du quartz...
Le galet vert sert essentiellement à réliser le décor. On peu certes utiliser un outil métalliques, mais certaines argiles acceptent mieux la pierre, qui provoque moins d'arrachements sur les bords des incisions.
Le décor est ainsi progressivement réalisé au fur et à mesure que la pièce se raffermit...
Puis en dernier lieu, polissage et lustrage au cuir. Comme la terre est très sableuse et contient des inclusions jusqu'à une taille de 2 mm. de petites irrégularités apparaissent parfois sur les bords des incisions. Le cuir permet de les gommer sans provoquer de rayures.
C'est terminé! Il ne reste plus qu'à laisser sécher tranquillement...
La cuisson peut se faire en fosse, en meule ou en four, avec les risques que les deux premières options impliquent. Les risques de casse sont nettement plus importants en cuisson ouverte. J'ai choisi le four...
La bête, un fois cuite...
Autre vue. Les reflets permettent d'apprécier le caractère très rustique de l'argile utilisée. Ce n'est pas une obligations pour ce genre de pièces, les potiers hallstattiens ont aussi réalisé des plats d'apparat en argiles fines. Il sont simplement encore un peu plus difficiles à monter...
Parce que, illustré comme je viens de le faire, cela paraît tout simple...
Essayez un peu pour voir...


jeudi 8 janvier 2015

Une visite impériale

Hadrian Visiting A Romano British Pottery

Sir Lawrence Alma-Tadema, vous connaissez?

Non, et ce n'est pas une surprise. L'oeuvre immense de ce peintre issu du courant académique, ou plutôt du néoclassicisme victorien, est quelque peu passée de mode. Et pourtant il eut son heure de gloire, ou plutôt ses années. Un des artistes majeures de la seconde moitié du XIXème siècle.
Lawrence Alma-Tadema, de son vrai nom Lourens Alma Tadema, naît en 1836 dans une famille néerlandaise aisée. Très tôt, l'enfant montre de grandes dispositions artistiques qu'il développe en dessinant et peignant, de même qu'un grand sens de la méthode. Ainsi, en 1851, il peint un portrait de sa sœur qu'il numérote Op. [Opus] I, une pratique qu'il gardera tout au long de sa vie, sa dernière toile portant le numéro Op. CCCCVIII...
 En 1852, il intègre l'Académie royale des beaux-arts d'Anvers et devient l'élève de Gustave Wappers puis de Nicaise de Keyser. Tous deux sont proches du mouvement romantique, et de Keyser, en particulier, encourage ses élèves à peindre des sujets historiques. En 1856, il quitte l'académie, devient l'assistant du peintre Hendryk Leys et s'installe chez le peintre et archéologue belge Louis de Taye, au contact duquel il s'intéresse à l'histoire et à l'archéologie. En 1862, il se rend à Londres pendant l'Exposition universelle. Lorsqu'il visite le British Museum, il est très impressionné par la collection d'objets égyptiens et particulièrement par la « frise du Parthénon », ce qui influencera considérablement son œuvre par la suite.
En 1863, il épouse une Française, Marie Pauline Gressin de Boisgirard, et découvre l'Italie lors de leur voyage de noces. Alors qu'il avait prévu d'y étudier l'architecture des églises primitives, il tombe sous le charme des ruines de Pompéi. Il en rapportera une impressionnante collection de photographies qui lui servira de documentation pour ses toiles à venir, représentant pour la plupart des scènes de la vie courante durant l'Antiquité. Plus tard, sa grande habileté à reproduire l'architecture antique lui vaudra le surnom de «peintre du marbre ».
De retour d'Italie, il s'installe à Paris où il rencontre le célèbre marchand d'art belge Ernest Gambart, qui l'encourage dans la voie qu'il a choisie et lui commande une vingtaine de toiles pour sa galerie londonienne. Le succès est immédiat. Puis, craignant une invasion prussienne, il quitte la France, tout comme Monet et Pissarro, et s'installe à Londres en 1870, et en 1873, devient sujet britannique.
Les expositions se succèdent, lui assurant un immense succès, aussi bien en Europe qu'aux États-Unis ou en Australie, pays où de nombreux prix lui sont décernés. On le classe parfois à tort comme tenant du mouvement préraphaélite. Si certaines de ses toiles peuvent le laisser penser, il est bien établi qu'il ne fit jamais partie de ce mouvement, sorte de confrérie fermée (Pre-Raphaelite Brotherhood). En 1876, il devient membre de l'Académie Royale. C'est durant cette période qu'il peint "Hadrian visiting a romano-british pottery".
 En 1899, il est anobli par la reine Victoria.A près une carrière de près de soixante ans, il meurt au spa de Wiesbaden, le 25 juin 1912. Son corps repose dans la cathédrale Saint-Paul de Londres.
Hadrian Visiting A Romano British Pottery, 1884. Huile sur canevas, coupée et retouchée, 159 x 171 cm.
Stedelijk Museum (Amsterdam, Netherlands). Photo © Creative Commons, licence GNU FDL

L'une de ses 408 oeuvres a donc retenu notre attention. Intitulée "Hadrian Visiting A Romano British Pottery", elle illustre une visite de l'empereur dans un atelier romano-britton tel que l'artiste s'est plu à l'imaginer. Cette  composition s'aligne parfaitement dans l'oeuvre générale d'Alma-Tadema, et au romantisme sous-jacent à ce travail suivant parfaitement les canons néoclassiques. Qui s'imaginerait aujourd'hui un empereur romain visitant un atelier de potier? Et pourtant, en cette fin du XIXème siècle anglais, faïences et porcelaines connaissaient une vogue immense, une sorte d'âge d'or, et il ne serait pas du tout apparu incongru  que la Reine de déplace en personne chez un fabriquant ou un négociant pour choisir SON nouveau service à thé! Or chacun voit et comprend l'histoire en la comparant au moeurs de son époque...Au-dela du pittoresque de cette scène, attachons-nous à quelques détails qui sont le sujet principal de ces pages: Les céramiques britto-romaines telles que Sir Lawrence Alma-Tadema les a représentées, notamment sur les deux fragments qui suivent.

The Roman Potters in Britain, 1884
Huile sur canevas, coupée et retouchée, 72 x 119 cm.
Royal Collection, The Hague (La Haye)
Photo © Creative Commons, licence GNU FDL


Ces deux représentations de "potiers britto-romains" sont eux aussi recoupé et retouchés. L'histoire de ces oeuvres est trouble, une part d'inconnu subsiste. Sont-ce trois parties d'une oeuvre monumentale qui pour une raison ou pour une autre ont été découpées, remontées par l'artiste sur des châssis puis partiellement retouchées? Ce n'est pas impossible.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le séjour de Sir Lawrence chez Louis de Taye a laissé des traces et lui a permis d'exercer son regard, et, compte tenu des connaissances de son époque, de parfaitement placer  un objet dans son contexte historique. En l'occurence,  la visite de l'empereur Hadrien en Bretagne insulaire, une "inspection" pourrait-on même dire, qui se déroule en 122 de notre ère. Compte tenu des connaissance de l'époque, ces céramiques choisies pour meubler cette boutique de potier sont relativement correctes. Tout au plus une partie d'entre-elles sont un peu tardives pour l'époque, nous les datons aujourd'hui de la seconde moitié du IIème siècle.
Nous nous trouvons bien dans un atelier de potiers, la toile représentée ci-dessous le montre bien par les tourneurs travaillant en arrière-plan. Or, détail intéressant, certaines de pièces que l'on distingue à peine derrière l'empereur sur la toile principale proviennent d'ateliers gaulois ou rhénans, ce que Sir Lawrence Alma-Tadema, ne pouvait probablement pas savoir. En cette fin de XIXème siècle, l'archéologie consistait le plus souvent à déterrer des objets pour les classer dans des vitrines ou pour constituer des cabinets de curiosités commentés par les historiens de l'art. Le fait que certaines de ces céramiques aient été découvertes en contexte de production ou au contraire de consommation peut fort bien être passé inaperçu, et en plus les courants commerciaux et donc les éventuelles importations étaient mal connus.  L'archéologie contextuelle, permettant de bien mieux dater objets et ensemble par comparaison avec leur environnement ne s'est développée que bien plus tard.
The Roman Potter, fragment of ‘Hadrian Visiting a Romano-British Potter’, 1884
Huile sur canevas, fragment coupé et retouché,152 x 80 cm.  Musee d’Orsay, Paris, France
Photo © Creative Commons, licence GNU FDL
Le choix des poteries représentés est donc pour le moins confondant, dénotant une grande maîtrise des contextes historiques et culturels. Toutes ne sont pas identifiables car certaines d'entre-elles dorment dans les réserves des musées et ne figurent pas dans le publications modernes, et d'autres sont difficiles à distinguer dasn l'ambiance n peu sombre des arrières-plans. Toutefois celles illustrées sur le plateau transporté par le potier ci-dessus sont connues.
la première à partir de la gauche est aisément reconnaissable. Il s'agit probablement d'une production de la Nene Valley, qui est ou a été exposée au British Museum ou encore au Museum of London. Malheureusement cette référence a disparu est n'est pour le moment plus accessible. Il s'agit toutefois assurément d'une production britannique, son style ne permet pas de confusion. Comme toutes les pièces qui suivront le décor n'est pas moulé, mais réalisé à main levée à la barbotine.











A son côté, un grand gobelet dont le style est apparenté aux productions de Colchester, et exposé au Colchester Castle Museum. Il faut bien préciser "apparenté". Car si de tels gobelets ont assurément vu le jour dans ces ateliers de l'ancienne Camulodunum, ils sont parfois très proches par leurs formes et leurs décors aux productions de Cologne, également importées dans les îles britanniques. La couleur de la pâte et de l'engobe, ainsi que leurs textures permettent souvent de les différencier. Or cette photo d'amateur prise eu travers d'un verre de protection ne permet pas une identification certaine. cette production débute vers les années 100 à 120 de notre ère.




Les deux exemplaires à gauche et ci-dessous, faciles à reconnaître sur le plateau que porte le potier proviennent d'ateliers du centre de la Gaule, probablement Lezoux et sa région. Fréquemment importés dans les Îles britanniques, il n'est pas étonnant qu'elles figurent dans cet assortiment.



Un gobelet à décor de rinceaux végétaux. Musée de la Céramique, à Lezoux. Seconde moitié du IIème siècle. (Photo de l'auteur)

















Un gobelet, également de Lezoux, comportant des animaux (chiens en lièvres) entre les mêmes types de rinceaux végétaux. Musée de Bavay. Seconde moitié du IIème siècle

Photo © Musée de Bavay






Autre pièce majeure des ateliers de Colchester figurant sur la toile principale,devant le bras droit de l'Empereur:
Cet extrardinaire gobelet montre un décor de courses de chars, probablement réalisé partiellement par des motifs d'applique moulés, puis rehaussés à la barbotine, c'est un fleuron des ateliers insulaires du IIème siècle. D'autres gobelets de ce même type sont connus, montrant notamment des combats de gladiateurs ou d'hommes contre des bêtes. Il est possible qu'au moins l'un d'entre eux soit représenté sur la rambarde de l'escalier au bas de la toile principale, les détails ne sont pas suffisamment visibles même sur les meilleurs prises de vue. Par leur forme, ces pièces sont apparentés aux productions de Cologne de la première moitié du IIème siècle. Le contexte de leur découverte n'étant pas connu, il es difficile d'en dire plus.




Gobelet à "décor de cirque".  Ateliers de Colchester, IIème siècle. British Museum.



En représentant ainsi l'aspect sombre et envoûtant de ces céramiques du service à boire du IIème siècle, l'auteur a pu ajouter une petite note dramatique à une scène somme toute paraissant bien commune. C'est ce qui fait le charme de ces peintures au style paraissant aujourd'hui un peu désuet. Et pour conclure, Sir Lawrence Alma-Tadema ayant été surnommé "Le Peintre des Marbres", nous ne résistons pas à vous présenter "Sculptors in Ancient Rome", une oeuvre datant de 1877.


Sources: