dimanche 19 février 2012

Cuissons d'hiver: Une fournée réductrice.

C'était mercredi dernier, le 15 février. Un temps à ne pas mettre un potier dehors? Allons donc! Il suffit de s'habiller un peu plus chaudement et de prendre les quelques petites précautions d'usage dans ce genre de situations. Quelques vénérables institutions, le Muséoparc d'Alesia ou les Contubernia de Vindonissa, et des associations, comme Gladius Scutumque attendent leurs pièces et il n'est plus temps de mégoter.
Et en plus, même si la météo s'est considérablement radoucie après une période de gel sévère, il neigeait par intermittence ce jour-là. Et faire une cuisson sous la neige, c'est un petit bonheur que le froid ne pourra jamais dissiper!

 On dit parfois que les potiers antiques ne cuisaient jamais en hiver, et c'est probablement exact. mais, contrairement à ce que l'on peut penser, ce n'est pas une question de cuisson, mais plutôt de stockage des pièces crues dans des locaux sans chauffage. Que ces céramiques soient encore un peu humides et qu'un coup de gel survienne et ce sera la catastrophe, les argiles crues ne résistant pas du tout à la pression du givre qui se forme à l'intérieur des parois. Par accident cela m'est arrivé une fois et peu de pièces ont survécu à cette mésaventure. Par contre démarrer une cuisson par des températures en dessous de zéro degré ne pose pas de problème. Il suffit préalablement de chauffer légèrement le four pour éviter un petit coup de gel insidieux lors de l'enfournement et le tour est joué. Après, monter à 850 ou 900 degrés ne pose aucun problème. Cela ne représente que 20 degrés de différence au point de départ et c'est vraiment peu de choses...

Donc, il a fallu préchauffer, et accessoirement dégivrer le four le jour précédent, et le matin de ce mercredi 15 février on enfourne! par chance il ne neige pratiquement pas à ce moment, donc pas de risque de mouiller ou de tacher les céramiques crues.

 Comme il s'agit d'une cuisson réductrice avec enfumage, toutes les pièces, des répliques de céramiques fines et culinaires gauloises et gallo-romaines sont empilées sur des séparateurs, des "pernettes" dites aussi "pattes de coq". Ainsi on évite les points de contact qui laisseraient des zones plus claires qui peuvent être disgracieuses. A l'état cru, ces récipients sont gris clairs, rosés ou rougeâtres selon les types d'argiles utilisés.
Une fois rempli, le four est refermé, on obture la porte de chargement par des briques et on jointoie le tout au torchis afin que l'ait atmosphérique ne parvienne plus du tout à pénétrer dans la chambre de cuisson.
Le petit feu est lancé vers 10 heures, et on chauffe prudemment. Le four est un peu humide et il faut prendre le temps de faire un "effumage" correct, c'est à dire éliminer toute l'humidité résiduelle dans les céramiques et bien sûr sécher correctement le four. l'opération prend 4 bonnes heures, et dès 14 heures environ on peut démarrer progressivement le grand feu, qui dure à peu près 5 heures. Comme toujours je contrôle mes températures à la couleur du feu, sans pyromètre. Lorsque les céramiques auront atteint le rouge cerise, la température sera bonne pour attaquer la réduction. La cheminée du four est alors obturée, et de l'épicée sec, je passe à une variante plus poisseuse qui absorbera plus d'oxygéner pour brûler correctement et ainsi assurera une bonne réduction
Pendant la réduction, les gaz se réenflamment lors de leur passage par les fissures de la cheminée. Tant que cette flamme subsiste, c'est signe d'un bon processus réducteur..
Dès que la suie commence à se former dans le foyer, la cheminée du four est scellée, le foyer bourré d'écorces et également obturé afin d'empêcher toute pénétration d'air atmosphérique qui empêcherait le processus d'enfumage. Et la longue attente commence. le processus d'enfumage dure 36 heures au moins et il faudra donc attendre le surlendemain pour découvrir le résultat...

Et, faute de temps ce n'est finalement que le samedi que j'ouvrirai le four. Les écorces se consumaient toujours lentement, un peu de braise ardente subsistait toujours dans le foyer, ce qui est presque toujours le signe d'une fournée réussie.

 A l'ouverture de la porte, toutes les pièces sont parfaitement noires, sauf quelques unes qui ne devaient pas l'être, on verra plus tard pourquoi.

 Un bol cannelé gaulois parfaitement venu à la cuisson. Plus que noir, il est presque "aile de corbeau". Destiné au futur Centre d'Interprétation du Muséoparc d'Alesia, c'est la réplique d'une des rares pièces gauloises découvertes sur le site. La construction de la ville romaine peu après la bataille a complétement bouleversé le terrain et les tessons que l'on peut maintenant y trouver dépassent rarement quelques centimètres carrés.
Pour découvrir ce que sera le nouveau Centre d'Interprétation d'Alésia:
 http://www.alesia.com/
Ouverture le 26 mars! Ce sera LE site à visiter cette année! Qu'on se le dise!

 Autre bol gaulois d'Alesia issu de fouilles plus récentes. Il était tellement fragmenté que pour restituer son profil complet il a fallu travailler par comparaison avec des récipients similaires découvertes dans les sites de la région.
 Réplique d'un gobelet découvert sur l'oppidum de Bibracte. C'est un récipient emblématique de ce lieu quasi mythique. Ces pièces sont telles qu'elles sortent du four. Elles ne sont jamais recouvertes de cendre. Tout au plus une fine couche de suite peut s'être déposée sur leur surface, on peut le voir à l'état des mains du potier...

 Toute autre est cette vaisselle. Bien que les prises de vie aient été effectuées dans d'autres conditions, elles sont réellement grises et noires. Il s'agit de répliques de pièces gallo-romaines de l'atelier de la Rue St.-Jacques à Paris. Pour les réaliser, il a fallu choisir une argile qui refuse l'enfumage. Les terres deviennent grises par effet de réduction, mais il est pratiquement impossible de les imprégner de carbone. Au mieux, elles deviennent gris foncé comme celles-ci.
 Une jatte tripode de la Rue St.-Jacques. l'extérieur est gris, mais l'intérieur est noir brillant. Pour obtenir cet effet, on dépose au pinceau un engobe ferrugineux qui prend bien la réduction ET l'enfumage. L'effet brillant résulte d'une technique de dépose au pinceau, sans qu'un polissage soit nécessaire. Mais, avis aux amateurs, ce n'est vraiment pas facile à réaliser.
Et comme sur les originaux, on déborde quelque peu sur la panse externe...


 Et enfin, une bonne partie de cette fournée était constituée d'une grosse série de plats a feu pour le Legionärspfad de Vindonissa. En argile grossière, ils sont devenus aussi un peu bleutés par le force de l'enfumage. Ils permettent de frire légumes ou boulettes de viande directement sur les braises ou le gril. Deux baraquements, logements d'une centurie de légionnaires ainsi que de leur centurion ont maintenant été reconstruits à l'identique des bâtiments d'époque, et on peut y passer ses vacances ou un week-end hors du commun.
Présentation du camp légionnaire de Vindonissa sur le site d'Armae:
 http://www.armae.com/blog/les-baraquements-legionnaires-de-vindonissa.html
 Présentation du Legionärspfad Vindonissa sur le site du Canton d'Argovie. (en allemand et...assez spartiate...): http://www.ag.ch/legionaerspfad/de/pub/index.php

Première fournée de l'année réussie, et c'est toujours encourageant. Pas de casse, c'est assez rare. Des fournées telles que celle-ci, il y en aura d'autres. l'année promet d'être bien remplies, ces pages le seront aussi!
A tout bientôt donc, ô Honorable Visiteur!

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