vendredi 11 janvier 2013

Une cuisson à thème: Céramiques gauloises de La Tène C1

Première fournée de l'année, on profite de la météo redevenue plus ou moins clémente. Car peu amène, elle l'a bien été en décembre, avec des pluies abondantes et presque continues, et mon four principal a été inondé au moins cinq fois. Complétement imprégné d'eau, il fallait aussi absolument le sécher avant le retour des gelées qui auraient pu sévèrement l'endommager.
Fin de cuisson le 7 janvier dernier. le four crache la vapeur de tous ses pores...

Moins pressé par les commandes urgentes que durant le printemps ou l'été, je peux me permettre de choisir un thème général, un répertoire de formes à explorer, une nouvelle technique à expérimenter. Une petite présentation s'avère toutefois utile avant d'aller plus loin. La Tène C1, c'est quoi, au juste?
Petite chronologie de la civilisation de La Tène:
les historiens, et surtout les archéologues ont l'habitude de citer des périodes chronologiques pour les civilisations anciennes. La civilisation gauloise, ou celtique, qui a pris à la longue les nom de deux sites archéologiques célèbres. Pour la phase précoce, c'est la période dite de "Hallstatt", lieu en Autriche où a été découvert un abondant matériel relatif à l'exploitation des mines de sel. La phase récente prend le nom de "Civilisation de la Tène", du nom de ce célèbre site archéologique en Suisse occidentale.

La Tène ancienne :
La Tène A : vers 500 / 475 - 400 av. J.-C.
La Tène B1 : vers 400 - 325 av. J.-C.
La Tène B2 : vers 325 - 250 av. J.-C.

La Tène moyenne :
La Tène C1 : vers 250 - 190 av. J.-C.
La Tène C2 : vers 190 - 140 av. J.-C

La Tène finale :
La Tène D1a : vers 140 - 120 av. J.-C.
La Tène D1b : vers 120 - 80 av. J.-C.
La Tène D2a : vers 80 - 60 / 50 av. J.-C.
La Tène D2b : vers 60 / 50 - 30 av. J.-C.

Cette corrélation entre phases chronologiques et datations absolues est actuellement la plus utilisée en Suisse et en France. La période qui nous intéresse pour cette fournée, La Tène C1 (LTC1) se situe donc entre les années 250 et 190 av. J.-C. c'est une période de grandes mutations pour les peuples gaulois, avec le développement des premières agglomérations, villages puis villes, avec la mutation des réseaux commerciaux notamment par une distinction jamais vue entre sites de production et lieux de consommation. C'est le début de la grande expansion de l'artisanat spécialisé. Un temps de profonds transformations de l'organisation sociale et politique aussi, mais que je ne développerai pas ici.
En ce qui concerne la céramique, on assiste ainsi au début de la généralisation de la céramique tournée. Ce mode de faire existait ici et là auparavant, mais était très peu développé, car difficile à organiser dans le cadre de petites unités d'habitats ruraux. Seules de très grandes fermes aristocratiques ont pu détacher des travailleurs pour les occuper à la fabrication de céramiques tournées, dont un part importante est commercialisée, activité qui demande une longue formation, au contraire de la poterie modelée qui peut se pratiquer à temps très partiel, parallèlement aux travaux agricoles, et que l'on peut tout à fait considérer comme une activité domestique.

Les peuples gaulois et leurs céramiques: 
On connaît la répartition ds peuples gaulois d'après deux sources essentielles. La première est la description qu'en a fait César dans ses "Commentaires sur la Guerre des Gaules". Il nomme tous les peuples qu'il a combattu ou avec lesquels ils s'est allié.C'est une source très précieuse, mais que ne cite que rarement les délimitation territoriales. L'autre document essentiel est la carte des diocèses de l'antiquité tardive. Lors de la création des provinces gauloises par Auguste et Agrippa, les romains ont bien pris garde de ne pas créer de délimitations artificielles, et au contraire ont respecté les frontières traditionnelles afin d'éviter conflits et divisions internes. Ces provinces, divisées en "cités" seront plusieurs fois remaniées au cours de l'histoire de l'Empire, mais les cités seront généralement conservées. Là aussi, on ne connaît pas toujours leurs frontières. mais dés le IVème siècle, chaque Cité se verra attribuer un évêché, et la première carte des Diocèses nous restitue assez exactement les limites de ces derniers pour le Vème siècle de notre ère.
Les territoires des Parisii, Meldes et Sénons, avec pour capitales Paris, Meaux et Sens. Tiré des actes de la SFECAG, Congrès de Chelles, 2010. Tiré de la communication de Jean-Marc Séguier: "Vaisselle domestique et limites territoriales des Sénons, Meldes et Parisii de la fin de l'âge du fer à l'époque augustéenne".
Ces limites territoriales ont parfois évolué avec le temps, et surtout on ne les connaît pas avant les Commentaires de César. Chaque peuple gaulois avait sa monnaie, et probablement sa propre  organisation commerciale. De nombreux objets de production indigène ne franchissent pas, ou que très rarement les frontières du territoire ou de la Cité, ce qui aide à définir les frontières par l'étude et la comparaison des mobiliers archéologiques. C'était d'ailleurs le thème transversal du Congrès de la SFECAG (Société Française d'Etude de la Ceramique Antique en Gaule) de 2010: "L'apport de la céramique à la connaissance des dynamiques culturelles et économiques et des limites administratives de la Gaule"
Ces congrès de la SFECAG sont toujours très enrichissants. On y discute de thèmes très pointus, on y compare rapports de fouilles et tessons, on y confronte expériences et méthodes d'analyse, on y explore de nouvelles voies de recherche...
Exemple de cassure fraîche sur un tesson

J'ai donc passablement puisé dans ces Actes pour réaliser les pièces qui suivent. Avoir pu observer quelques tessons ou pièces complètes des régions concernées m'a considérablement aidé. Pour réaliser ces pièces j'ai choisi des mélanges d'argiles pouvant correspondre par le texture et le couleur à celles qui était exploitées par les artisans de cette époque. Cela reste toutefois quelque peu aléatoire, les gisements sont multiples et leur qualité peut considérablement varier d'un endroit à l'autre.
Le mélange choisi est très clair. A la cuisson, il reste blanchâtre à coeur, mais prend très bien l'enfumage en prenant une couleur noire, parfois un peu bleutée en surface. la cuisson a duré environ 9 heures, la température maximale a atteint environ 850 degrés, évaluée comme toujours à la couleur du feu. La post-cuisson est réductrice, avec un enfumage aux écorces humides d'une durée de 36 heures environ. Cette dernière opération se fait à l'aveugle, le four devant impérativement être scellé hermétiquement afin d'empêcher toute intrusion d'air atmosphérique. Réaliser une telle cuisson dans un four très humide n'est pas un gros problème, mais cela prolonge le temps de chauffage. évaporer l'eau imbibée dans les structures est très énergivore et la consommation de bois est sérieusement augmentée.Quelques jours auparavant, j'avais déjà chauffé le four à vide pendant 6 heures pour le sécher. Au total la consommation de bois aura presque été doublée...

Les résultats:
Il ne s'agit pas là d'une étude stylistique mettant en exergue les particularités culturelles des peuples cités dans le texte. Bien que ce thème sera abordé, il faudrait un échantillonage beaucoup plus grand pour mettre en évidence ds styles particuliers.
les premières pièces présentées font partie de la vaisselle ordinaire tournée. il ne s'agit pas de pièces de prestige, mais d'objets de consommation courante. ce qui ne leur intrerdit pas un certain charme, voire un charme certain. Simplicité et élegance...
Un bol cannelé de Châtenay-sur-Seine. La forme des moulures est assez caractéristique de la prériode la Tène CI, le profil général de ce bol est typique des Sénons.
Un autre exemplaire, un peu plus haut de forme. également des Sénons, de Marolles-sur-Seine. On se trouve dans le même répertoire formel.
Un autre bol de Châtenay-sur-Seine. Traitement différent de la moulure pour un même style.
Un gobelet de Marolles-sur-Seine
Les forme des bols Sénons sont bien caractéristiques de ces peuplements. Par contre, le gobelet est issu d'une forme plsu générale de la Tène anciene, et on le retrouve avec diverses variations ou encore dans la Marne, ou chez les Parisii, dont la céramique est maintenant bien connue grâce aux fouilles de Bobigny ou de Nanterre. Comme leurs voisins Meldes, mais peut-être plsu avancés encore dans la techinique du tournage, leurs producions sont issues d'ateliers spécialisés. A témoin, ce plat, parfois nommé Bassin, tout à fait spectaculaire. Il démontre d'une technique de tournage et de montage très élaborée. Un réel problème. même pour un potier moderne...
Un plat de Bobigny, fouilles de l'hôpital d'Avicennes. Profil...
et vue du fond...

Et son original, tel qu'il était montré lors de l'exposition "Nanterre et les Parisii" en 2008.
Ce plat a été réalisé à partir d'une autre argile, beaucoup plus ferrugineuse, dont la décoloration avec le temps peut amener la couleur de surface au brun. Cette forme n'est pas spécifique aux Parisii, on la retrouve dans toute la Picardie jusqu'aux temps de la Guerre des Gaules.
Autres peuples, autres régions...
Les céramiques de la même époque sont très diverses, dans leurs textures et dans leurs formes. Cependant les effets de mode sont tels que certaines formes générales se retrouvent dans presque toutes les populations gauloises, et qu'il faut examiner de près les textures et les détails de décors pour les différencier.
Un Calice arverne
et un petit pot en argile fine micacée
La céramique arverne par exemple se distingue souvent par des argiles comportant de nombreuses paillettes de mica, un polissage très soigné et des décors presque systématiques réalisés au lissoir. Un retrouve bien évidemment de telles pièces de facture plus grossière. Les pots à cuire et marmites échappent à cette catégorie de céramiques fines. Nécessitant des argiles très chamottées résistant au feu culinaire, ils sont souvent modelés, parfois partiellement tournés.
Un pot à cuire arverne réalisé à partir d'une terre grossière, contenant au moisns 40% de sables et graviers jusqu'à 2 mm.
Et en Suisse?
Petit bol cannelé de Münsingen
Petite bouteille de Gempenach
Hélas, les sites d'habitat de la période C1 ne sont pas connus pour le moment, ou alors très mal datés, à tel popint qu'il y est impossible de classifier les céramiques par horizon chronologique. Reste les nécropoles. Si plusieurs d'entre elles sont bien connues, la céramique y est rare, et la datation a été réalisée à partir des armes ou des parures. Etaient-ce les Helvètes qui peuplaient déjà la plateau Suisse? On en est pas vraiment certains. Peuplé, assurément, mais pas qui? En revanche, on a déterminé qu'une branche importante de ce que l'on pourrait appeler les "Protohelvètes" habitait la Bavière actuelle et se sont déplacée vers la fin du IIème siècle avant notre ère sur le plateau suisse. Aucune trace écrite ne subsistant de cette époque, il faut avoir recours aux analyses de matériel archéologique pour tenter, par les styles décoratifs par exemple, de comprendre et dater ces migrations. Peut-être que le très important sanctuaire du Mormont permettra d'apporter quelque lumière sur l'état de la question?
Ces deux pièces helvètes ont été réalisées à partir d'une argile locale, toujours assez sableuse, ce qui leur donne un aspect de surface un pou moins granuleux. A la cassure, le tesson serait gris, et non blanc comme les pièces des Sénons. Cette cassure grise est typique des argiles du plateau suisse, et se retrouve très souvent dans les céramiques de toutes les périodes de l'antiquité qui ont subi une réduction.
Archéologie expérimentale?
Pas entièrement. Une expérimentation digne de ce nom devrait, pour être fiable, se réaliser exclusivement à partir des argiles des régions concernées. Dans deux des cas présentés, chez les Sénons et les Helvètes, les ateliers ne sont pas connus, et dès lors où faudrait-il extraire l'argile? Certes, on peut toujours tenter de reconstiuer des argiles par mélanges de produits du commerce destinés à la céramique moderne, mais ce sera toujours un pis-aller. Cela permet toutefois de produire des pièces très proches de leurs originaux, si elles sont cuites dans des fours ressemblant aux installations antiques. C'est ce que je pratique le plus souvent. Le four à coupole fixe utilisé pour cette cuisson est un four possible pour l'époque gauloise, mais pas certain. la plupart des installations étaient découvertes, se chargeaient par le haut et étaient recouvertes de tessons. Mais au final le résultat diffère peu, expériences faites.
En ce qui concerne les Arvernes, plusieurs ateliers sont maintenant bien connus, et une source d'argile proche de l'atelier de l'Oppidum de Gondole à été identifiée. l'ARAFA (Association pour la Recherche sur l'Âge du Fer en Auvergne) m'en a remis une dizaine de kilos pour essai. Dans ce cas on sera beaucoup plus proches d'une expérimentation archéologique fiable. Cette expérimentation se fera ce printemps au plus tard, en deux ou trois cuissons différentes. Rendez-vous donc en avril ou mai dans ces pages...

Ouvrages et organismes cités:

ARAFA (Association pour la Recherche sur l'Âge du Fer en Auvergne): 
http://arafa.fr/SPIP/


NANTERRE ET LES PARISII. Une capitale au temps des gaulois ? Collectif. Ed. Somogy, 2008, ISBN 978-2-7572-0162-

SFECAG, Société Française d’Etude de la Céramique en Gaule. Actes du congrès de Chelles, 2010, Marseille, ISSN 1297-8213.


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