lundi 2 novembre 2015

Une cuisson de céramiques germaniques.



C'était le 1er novembre 2008. Jour de la Toussaint pour les uns, de Samaïn pour d'autres, mais dans tous les cas une belle journée, fraîche mais ensoleillée pour faire une cuisson dans la forêt parée de ses plus belles couleurs automnales. Cela date un eu, certes, mais la cuisson fut tellement belle que je rédite cet article tel qu'il avait paru dans mon ancien blog.
Dans son principe, la céramique germanique est proche, techniquement parlant, de la céramique gauloise comme des productions grises ou noires de la période gallo-romaine.
On distingue toutefois deux catégories principales, tout comme durant les époques précitées, même si en ces temps, notamment durant le Haut-Empire, les productions sombres on parfois perdu un peu de leur importance.
Aux origines, et jusque dans le courant du IIIème siècle ap. J.-C., la céramique germanique des peuples que l’on nommera plus tard Alamans, Thuringiens, Francs ou Saxons, mais qui alors portaient d’autres noms ( Juthunges, Semnons, Chattes, Bructères, Hermundures, etc…) était une production presque entièrement modelée, avec éventuellement l’aide d’une petite tournette. C’est une production typique de petites unités sociales que l’on retrouve sous la forme de hameaux ou petites fermes aristocratiques, un peu comme à la Tène moyenne ou récente. Une des principales caractéristiques de ce genre d’organisation sociale est une autarcie parfois très prononcée. Tout ou presque y est fabriqué sur place, et la part des échanges dépassant le cadre local y est très faible. C’est ainsi que la céramique reste limitée à une production locale réalisée par des personnes peu spécialisées, peut-être par des potiers (ou potières ?) paysan(ne)s. Les installations de production sont donc assez rudimentaires, et n’ont rien de commun avec les officines gallo-romaines qui peuvent parfois employer des dizaines de potiers professionnels. Dans le meilleur des cas on retrouve en fouilles des vestiges tels que ceux-ci,découverts dans le Wetterau,montrant déjà une certaine romanisation. Mais la plupart du temps l'empierrage de la banquette et de la périphérie sont inexistants et la construction est entièrement en torchis.

En second lieu, progressivement les régions de ce qui deviendra l’Alamannia », du moins celles qui étaient proches du Rhin verront leurs structures sociales évoluer, se regrouper autour de princes guerriers et, parallèlement, les fonctions sociales vont progressivement se spécialiser, processus évolutif qui prendra plusieurs siècles.
Ce n’est apparemment qu’au début du IVème siècle que l’on verra apparaître des ateliers spécialisés dans tous les domaines de l’artisanat. En ce qui concerne la poterie, le travail au tour ne peut que difficilement être compris comme une activité domestique. Un paysan-éleveur ne s’improvise pas tourneur et là réside une des raisons principales des caractéristiques techniques de la céramique alamane. Ce qui, évidemment, n’empêchera pas une paysanne qui dispose d’un ou deux heures quotidiennes, de réaliser de très belles céramiques modelées qui, de plus, techniquement parlant, répondront parfaitement aux besoins des sa maisonnée, et permettra quelques échanges avec ses voisins ou un marchand de fibules de passage.  Les céramiques produites avec ce type de fours sont souvent de coloris assez réguliers, clairs en cuisson oxydante, mais le plus souvent de gris à noir, en passant par le brun foncé pour les cuissons réductrices. Au contraire de celles des céramiques cuites en fosse ou en four mixte, plus irrégulières, présentant souvent sur une seule pièce toute une palette de coloris selon la quantité de braises restées en contact avec elles lors du refroidissement.

La procédure de cuisson que je décris donc ci-dessous est donc beaucoup plus rustique, et consiste en un moyen-terme entre cuisson en fosse et cuisson en four. C’est la cuisson des villages et non celle des ateliers spécialisés.

Le four est un simple puits, au fond duquel est aménagé un foyer, une languette formant piédestal et de petites banquettes latérales. Il n’y a pas de sole à proprement parler. Pour laisser un passage aux flammes sous la charge à cuire, on a deux possibilités: Soit les vases de la couche inférieure, si ils sont assez gros, sont placés obliquement et coincés entre la languette et les banquettes, soit on place quelques briques ou « cigares » d’argile pour les y maintenir.
Ensuite on empile en vrac par-dessus, en veillant à ne pas trop obturer le tirage.


Les vases ne sont pas recouverts de tessons, il est important de les laisser libres pour la deuxième phase de la cuisson.
Durant deux heures environ, j’ai préchauffé par-dessous en pratiquant un feu dans le foyer réservé à cet effet. L’avantage de cette procédure est de permettre de chauffer progressivement les pièces faites d’argiles fines qui éclatent systématiquement lors des cuissons ouvertes ou en fosse. Lorsque la charge est assez chaude, les flammes se faufilent entre les pièces et atteignent la surface. Le « ressuage » (élimination de l’eau résiduelle) des argiles est ainsi garanti terminé et on ne risque plus d’explosion. On peut alors mettre le feu sur la partie supérieure en gardant le foyer inférieur ouvert pendant un temps. Le tirage atteint ainsi une grande puissance et la température de la charge augmente très rapidement pour atteindre le rouge cerise.

Ensuite, on ferme le foyer inférieur et on le scelle au torchis. Le four va dorénavant se comporter comme une fosse. En continuant à alimenter un feu important sur les céramiques, on va provoquer une grosse accumulation de braises qui, dans un premier temps, s’écouleront entre les céramiques, puis les recouvriront complètement.
Cala prend un peu de temps, et la nuit approchant, il est devenu temps de passer à l'étape suivante. Les braises recouvrent maintenant complétement la charge.

C’est à ce stade qu’on ferme la partie supérieure. Une couche d’écorces et de déchets de fendage, puis une couche de feuilles mortes humides vont assurer la protection de la braise. Ensuite une couche de terre meuble humide légèrement tassée, et enfin à nouveau une couche de feuilles mortes détrempées pour éviter que la terre ne sèche et se craquèle trop vite. On laisse reposer et macérer un jour, le temps à la braise de se transformer en charbon, et aux céramiques de bien se carburer et devenir ainsi plus dure et plus étanche.
 

Le lendemain, à l’ouverture, rien n’a bougé. La couverture de terre est toujours humide, ne s'est pas fissurée, et le feu est pratiquement éteint. Les céramiques se trouvent maintenant enrobées de charbon de bois avec quelques braises résiduelles ici et là. Il faut faire vite au défournement, le charbon ne tarde pas à se réenflammer ! La charge est constituée de pièces alamanes, mérovingiennes et de quelques gauloises.
Ici la première pièce émerge de la cendre! C'est très chaud encore...

Et comme évidemment les gants de protection étaient restés à l'atelier, on extrait les pièces à l'aide de bâtonnets...

Instants magiques dans la végétation automnale...



 Ci-dessous, un groupe de pièces à facettes des Alamans de l’Elbe au pied du grand hêtre qui abrite le four. Une fois débarrassées des restes de cendres, puis légèrement patinées à la cire, ces pièces acquerront cet aspect sombre et envoûtant particulier à ce groupe de productions alamanes.


J’aurais pu construire ce four dans mon jardin ou à côté de celui que vous connaissez déjà. Pour me rapprocher encore de l’esprit de cette céramique et des peuples qui l’on pratiquée, j’ai choisi de le réaliser en forêt, et de ne l’alimenter qu’avec du bois mort pris sur place. Je n’ai pris que quelques buchettes sèches pour démarrer le feu, une semaine de pluie ayant tout détrempé.
Les couleurs de la forêt, l’ambiance automnale en ont fait un événement magique, hors du temps et de l’espace. Je cherche toujours à comprendre les civilisations qui ont produit les objets dont je m’inspire, cette quête aidant à aller au-delà de l‘acte purement technique. Pour une cuisson comme celle-ci, une part de moi-même est peut-être un potier alaman, au bord de la clairière qui abrite son village, quelque part dans la Forêt Hercynienne. Le grain et le fourrage pour les bêtes sont rentrés, le bois est au sec pour l’hiver… Une dernière petite fournée avant la neige…

C’est la part du rêve…

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